Aidda

Appel de Carthage

APPEL de Carthage

pour la Protection des Artistes en Situation de Vulnérabilité*

 

Préambule

Les signataires de la présente Déclaration,

Considérant que l’Art est une activité indispensable à l’Humanité permettant à l’Homme de réaliser ce qui est proprement humain en lui, une puissance de révélation et un pouvoir d’influence, une pratique complexe et multidimensionnelle, qui offre à l’homme un champ de possibilités inattendues qui peuvent changer sa perception du monde ;

Convaincus que l’Art recrée la vie, anime l’esprit individuel, participe à la constitution de Soi et prédispose à l’ouverture sur l’autre, stimule l’imaginaire social, fait évoluer les mentalités collectives, incite à la diversité et à la pluralité, éduque à la citoyenneté, résiste au conditionnement et à l’aliénation, encourage la singularité, contribue à l’acquisition des connaissances et à la maîtrise des techniques et par conséquent au progrès de l’humanité ;

Rappelant que l’artiste selon la définition de l’UNESCO, est : « … toute personne qui crée ou participe par son interprétation à la création ou à la recréation d’œuvres d’art, qui considère sa création artistique comme un élément essentiel de sa vie, qui ainsi contribue au développement de l’art et de la culture, et qui est reconnue ou cherche à être reconnue en tant qu’artiste, qu’elle soit liée ou non par une relation de travail ou d’association quelconque»,

Prenant en considération la pluralité des arts, la diversité des contextes artistiques et des conditions des artistes dans les différents pays et régions du monde, et au sein même des disciplines artistiques et des manières des artistes d’exprimer leurs talents et de produire leurs œuvres et de la signification intrinsèque qu’ils leurs accordent,

Constatant que les artistes, femmes et hommes, sont de plus en plus exposés à des actes intolérables portant atteinte à leur intégrité physique et morale, les privant du droit de créer librement, de jouir pleinement du droit à la liberté d’expression, et les empêchant d’exercer le métier dont ils tirent leur subsistance, notamment dans les pays instables et dans les zones de conflits armés, tant nationaux qu’internationaux ;

Estimant qu’il est tout aussi nécessaire qu’urgent de consacrer une Déclaration appelant à la protection des artistes persécutés, en situation de vulnérabilité, d’insécurité et de précarité, en situation périlleuse, dans les zones à risque et dans les zones de conflits armés, de prendre les mesures appropriées et d’instituer des mécanismes spécifiques pour assurer cette protection ;

Considérant la responsabilité principale que la Charte des Nations Unies a assignée aux Etats pour protéger les droits fondamentaux de l’Homme, la dignité et la valeur de la personne humaine, l’égalité des droits des hommes et des femmes et le maintien de la paix et de la sécurité internationales ;

Prenant acte du droit de prendre part librement à la vie culturelle de la communauté, reconnu par l’article 27 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et le paragraphe 1 alinéa »a«  de l’article 15 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (entré en vigueur en 1976), appelant les Etats à reconnaître à chacun le droit de participer à la vie culturelle, de bénéficier du progrès scientifique et de ses applications et de bénéficier de la protection des intérêts moraux et matériels découlant de toute production scientifique, littéraire ou artistique dont il est l’auteur,

Réaffirmant leur attachement aux droits énoncés dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (1948) et dans le Pacte International relatif aux Droits Civiques et Politiques (1966) respectivement en leur article 19 notamment le droit à la liberté d’opinion et d’expression, plus particulièrement de ne pas être inquiété pour ses opinions, de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées, sous une forme orale, écrite, imprimée ou sous la forme d’une œuvre artistique, ou par tout autre moyen de son choix,

Considérant le droit à la protection des intérêts moraux et matériels découlant de toute production scientifique, littéraire ou artistique dont une personne est l’auteur, consacré par la Convention internationale sur la protection des artistes interprètes ou exécutants, des producteurs de phonogrammes et des organismes de radiodiffusion ( Rome – 1961), nonobstant la protection du droit d’auteur sur les œuvres littéraires et artistiques telle qu’elle est consacrée par la Convention de Berne (1886) et la Convention universelle sur le droit d’auteur révisée à Paris le 24 juillet 1971,

Rappelant les Conventions de Genève en date du 12 août 1949 et les Protocoles additionnels du 8 juin 1977 et également les normes relatives à la protection humanitaire des personnes civiles et des biens à caractère civil au pouvoir d’une Partie au conflit énoncées dans la IVe Convention, en particulier aux Titres I et III, ainsi que les résolutions 1265 (1999), 1296 (2000), 1674 (2006) et 1894 (2009) sur la protection des civils en période de conflit armé et les autres normes applicables du droit international qui régissent la protection des droits fondamentaux de l’Homme pendant un conflit armé de caractère international,

Constatant avec consternation  que le travail des artistes et du personnel associé les exposent souvent à des risques spécifiques tels qu’actes d’intimidation et de harcèlement, ainsi qu’à diverses formes de violence, prise d’otage et actes barbares lors de l’exercice de leurs fonctions, notamment en période de conflit armé,

Réaffirmant qu’il incombe au premier chef aux Etats en situation de paix ou de conflit de prendre toutes les mesures nécessaires à la protection des artistes exposés, notamment la protection de leur droit à la liberté d’expression, de création, de recréation, et d’interprétation des œuvres d’art,

Se référant à la Recommandation relative à la condition de l’artiste adoptée par l’UNESCO (1980) qui appelle les Etats à veiller à ce que l’artiste bénéficie des droits et de la protection prévus par la législation internationale et nationale relative aux droits de l’Homme; et outre les divers mécanismes de protection sociale des artistes recommandée dans les dits instruments et préconisée dans les pays de l’Union Européenne,

Tenant compte de la résolution adoptée par le Sommet de Copenhague (2012) sur la liberté d’expression artistique, réunissant les représentants de plus de 1400 organisations et réseaux internationaux alertant sur le besoin urgent de lancer une initiative internationale afin de protéger et promouvoir la liberté d’expression artistique et créative, de venir en aide aux artistes en difficulté et à faire connaître la situation des artistes victimes de harcèlement et de censure et à rendre les gouvernements imputables de leurs obligations en vertu des conventions internationales pertinentes et des lois nationales,

S’inspirant en particulier de l’article 79 du Protocole additionnel I relatif à la protection des journalistes en mission professionnelle périlleuse dans les zones de conflit armé et de la résolution similaire 1738 (2006) sur la protection des journalistes, des professionnels des médias et du personnel associé en période de conflit armé,

Considérant que les dispositions de la présente Déclaration concernent les artistes en situation de précarité et de vulnérabilité quel que soit la nature et la qualité de leur œuvre, notamment dans des zones de conflit et en temps de guerre, sans aucune discrimination, notamment de race, de nationalité, de religion ou d’opinions politiques.

Considérant que les Journées Théâtrales de Carthage 2015 dans leur 17ème Edition qui se tiennent du 16 au 24 octobre 2015 en Tunisie, se sont donné pour thème : Théâtre et Droits Humains,

Les signataires de la présente déclaration, conscients de la condition des artistes en situation de vulnérabilité, de précarité et à risque notamment dans les zones de conflits armés, proclament ce qui suit :

  1. Toute atteinte à la liberté d’expression artistique et toute entrave à l’épanouissement du talent créateur appauvrit le monde,

  2. La garantie de la création artistique, la protection des artistes, l’amélioration de leur condition et le respect de l’ensemble de leurs droits inaliénables contribuent à la défense de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde,

  3. Les artistes sont la conscience vive de l’Humanité, leur protection est une responsabilité collective qui nécessite le concours de toutes les autorités étatiques, gouvernementales et civiles,

A cette fin, les signataires recommandent ce qui suit:

  1. Accorder aux artistes persécutés, en situation de vulnérabilité ou de précarité, vivant dans les zones à risque notamment les zones de conflits armés, un statut international particulier, leur permettant le libre exercice de leur profession,

  2. Instituer un Visa « artiste-créateur » destiné à assouplir les procédures permettant aux dits artistes de prendre part à des projets artistiques conjoints, de participer à des manifestations culturelles internationales et de diffuser leurs œuvres individuelles ;

  3. Solliciter l’assistance des institutions internationales notamment de l’UNESCO en vue d’attribuer aux dits artistes des titres de voyage , inspirés du passeport diplomatique et consulaire et des documents de voyage accordés aux réfugiés et aux apatrides;

  4. Créer un fonds alimenté par des ressources nationales et internationales publiques et privées pour venir en aide aux dits artistes sous la forme de dotation ou de soutien à la création ;

  5. Mettre en œuvre des mesures facilitant l’insertion professionnelle des dits artistes notamment l’octroi d’un titre de séjour provisoire dans les pays d’accueil et des facilités d’exercice de leur profession ;

  6. Etendre la protection octroyée aux dits artistes à leurs proches, et aux personnes exposées qui prennent leur défense dans leurs pays respectifs, et qui font l’objet de poursuites ou d’intimidation ;

  7. Prendre des mesures d’urgence destinées à défendre les dits artistes et à poursuivre les auteurs des agressions perpétrées contre eux à l’échelle nationale et internationale.

  8. Sensibiliser l’opinion publique mondiale à la situation des dits artistes et former un réseau de solidarité, des pools et des conseils de juristes et d’avocats spécialisés dans la défense des dits artistes, prenant la forme d’une assistance judiciaire en matière de liberté de création et des droits d’auteur.

  9. Prendre des mesures pour encourager la circulation des dits artistes, les inviter à participer à des manifestations culturelles internationales et compenser les dommages que les artistes subiraient du fait de leur statut, en favorisant, par exemple, la promotion et la diffusion de leurs œuvres ;

  10. Défendre le droit des dits artistes de présenter et de diffuser leurs œuvres sur la scène internationale et de pouvoir retourner dans leurs pays respectifs, sans subir d’intimidations, de représailles ou d’interdiction de voyager.

* Commission d’élaboration et de rédaction : Pr Hammadi Rdissi : universitaire, Me Mériam Bousselmi : avocate, Pr Lassaad Jammoussi : universitaire