Aidda

La double vie des Chibanis du foyer Inkermann
Photographies Emmanuel Carcano

Au numéro 43 de la rue Inkermann, à Lyon, le provisoire est devenu permanent pour une centaine d’hommes, travailleurs immigrés de la première génération, Algériens, Tunisiens ou Marocains. L’ancienne usine de robinetterie a fermé ses portes en 1956 et est devenue un foyer-dortoir : 175 lits répartis dans neuf chambres que partagent des hommes dont la moyenne d’âge est proche de 60 ans.

Une poignée d’entre eux travaillent, les autres sont à la retraite, au chômage, bénéficiairs du RMI, invalides. Leur vie est rythmée par les allers et retours entre leur pays d’origine et le foyer car ils n’ont jamais fait venir leurs familles. Rentrer au pays? La plupart ne peuvent s’y résoudre. Certes, les retraités passent une bonne partie de l’année au pays et ne viennent au foyer que pour les soins et les papiers administratifs.


Mais pour tous les autres, ceux dont la vie professionnelle s’est brutalement arrêtée bien avant la retraite, ce retour définitif est impossible. Comment concevoir de rentrer plus pauvre que lorsqu’on est arrivé en France? Comment gérer cette paperasserie administrative qui parfois devient l’une des rares activités de ces hommes?

Comment vivre, là-bas, avec une famille dont les enfants ont grandi sans père, ou presque? Dans leurs paroles, douloureuses, il ya ces années de travail qui justifiaient leur présence. Cette absence de labeur donne aujourd’hui à leur « existance française » un profond sentiment d’inutilité. Certes, il y a le foyer, les petits groupes constitués, l’entraide. Certains s’en contentent, d’autres aspirent à davantage d’intimité.

Il faut se rendre à l’évidence, ces hommes seuls (près de 100 000 en France) vieilliront ici. Que fait-on pour les accompagner?
Texte : Emmanuel Carcano

Emmanuel Carcano a débuté ce travail photographique en 1997.